Avec « Mes deux Papas », Eric Mukendi explore les tribulations d’un Kinois à Paname

Avec « Mes deux Papas », Eric Mukendi explore les tribulations d’un Kinois à Paname

Dans son premier roman, publié chez Gallimard, Eric Mukendi, originaire de République démocratique du Congo, fait miroiter les sens multiples des mots français et la richesse de la double culture de Boris, élevé entre Afrique et Europe. Vraiment ? Vraiment…

Le problème avec les adultes, c’est qu’on doit toujours s’expliquer, se justifier. Et malgré son éloquence naturelle, Boris est parfois pris de court. Coincé en équilibre instable entre monde des ados et des parents – qui inclut, selon la tradition africaine, les belles-mères, les tantes et les oncles et même ceux qui ne sont pas de votre sang mais qui, par fidélité, amitié et respect, le sont devenus.

Perspicace, Boris a très vite compris que le monde se divisait aussi entre ceux qui ont la nationalité et ceux qui n’ont pas de papiers, ceux qui habitent Levallois et ceux qui crèchent à Bondy. La distance de quinze kilomètres seulement séparant les deux mondes ne permettant nullement d’anticiper à quel point ces deux réalités s’annulent mutuellement.

Dans Mes deux Papas, on suit Boris qui, malgré les coups durs, avance avec sourire et intelligence et s’est même défini une solide philosophie de vie. Penseur à ses heures, il s’amuse de la façon dont chacun arrange la langue française à sa sauce, en l’épiçant abondamment et en nourrissant les malentendus.

Les multiples facettes du français

Élevé par deux parents originaires de la République démocratique du Congo, Eric Mukendi a grandi à Louviers, en Normandie. On retrouve la trace de cette double appartenance dans son premier roman publié chez Gallimard. Enseignant à Rouen, il a entamé sa carrière à Bondy et son livre témoigne de son observation fine d’une population richement métissée entre Antilles, Afrique et Asie. Et la façon dont celle-ci envisage la vie en France.

Grâce à son écriture nourrie par son regard acéré et son amour de la littérature, l’auteur livre de savoureuses tranches de vie en blanc et noir. Celles de Boris, élevé par son oncle Fulgence, marié à une Française du cru, Béatrice, pas toujours au fait des subtilités africaines. Malgré quelques frictions, son existence se déroule au calme entre l’école et ses délires avec son pote Idrissa.

Mais un jour, son vrai père, qu’on croyait mort, refait surface. Incrédule, Boris voit sa vie qui bascule. Juste au moment où sa rencontre avec Hortense, “jeune bourgeoise aux yeux verts” croisée lors d’une sortie scolaire, donnait un tout autre sens à son existence.

Son conflit de loyauté vis-à-vis de son oncle Fulgence, qui l’a élevé comme son fils, prolonge celui vis-à-vis de ses origines, ses potes, son quartier… Son apprentissage d’homme passe désormais par la case du XVIe arrondissement qu’il découvre entre défiance et éblouissement.

La force de ce roman, c’est la voix de ce gamin de la cité, bon élève, malin et perspicace, posé et épris de cosmologie qui défie tous les clichés et sert de passeur au lecteur, entre la réalité française, qui est la sienne depuis 7 ans, et ses racines congolaises. Avec ce style direct, propre à l’interpellation des adultes, Boris tente de résumer son histoire, la situation paradoxale qui lui vaut aujourd’hui de devoir se justifier face à une inconnue.

Les richesses d’une double culture

Mes Deux Papas parle très bien de la richesse de la double culture, mais aussi des épines qu’elle peut parfois vous planter dans le pied. Avec humour mais aussi un joli sens du suspense et de la mise en abyme, le roman trace sa route. À la fois étude sociologique des différentes strates de Paname et exploration des défis d’une adolescence en banlieue, le livre met en lumière des situations cocasses ou empreintes d’émotions dont Eric Mukendi se fait le héraut. Son style, concis et imagé, épouse les atours de la littérature tout en rendant grâce à la variété du langage parlé. Dans son récit, malgré les difficultés, la bonne humeur et l’optimisme demeurent car, comme on le dit au Congo, “cela ne se sert à rien de se lamenter”.

Dans son roman, Eric Mukendi donne vie à un jeune narrateur aux expressions cash et épicées, un personnage qu’on quitte à regret alors qu’on aurait aimé suivre les futurs développements de son histoire.

La Libre – Maroc Meteo